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Chroniques
Richard Wagner
Parsifal | Perceval
À compter les récentes versions scéniques de Parsifal on pourrait bien s’y perdre, tant l’ultime ouvrage lyrique de Wagner inspire nos metteurs en scène, ces derniers temps. S’il nous fut donné d’en voir la majeure partie de visu et in loco, c’est par ce DVD qu’on découvre la lecture de Michael Schulz pour le Salzburger Osterfestspiele 2013 – la production salzbourgeoise du bicentenaire du compositeur, à propos de laquelle la polémique alla bon train, bien en amont de la première, puisqu’aux Berliner Philharmoniker qui servirent le festival de Pâques depuis plus de quatre décennies allaient succéder les musiciens de la non moins prestigieuse Staatskapelle de Dresde.
À la tête de l’illustre phalange saxonne, Christian Thielemann, son chef titulaire depuis un an, approche l’œuvre avec une délicatesse absolument inouïe qui en renouvelle singulièrement l’écoute. Le premier Vorspiel s’avère rapide, souple même, et fait remarquablement miroiter les timbres. Moins méditative que souvent, cette lecture est d’emblée dramatique, sans exclure cependant un certain recueillement qui jamais ne pontifie. L’élégance des cuivres dresdois fait simplement merveille, aux côtés de bois précieusement colorés et de cordes infiniment soyeuses – voilà bien l’un des meilleurs orchestres européens, possédant un son bien à lui dont Thielemann use en maître, jusqu’à l’extrême ciselure. Le premier acte est avancé dans une confondante fluidité de fosse qui lui fait gagner un ressort prodigieux, favorisant la grâce à la solennité. La marche chorale se révèle des plus subtiles, évitant marcato et excessif effet de masse. Le fondu orchestral s’affirme plus encore au long de l’acte médian, intègre cet épisode évidemment dramatique à une geste plus global qui ne surenchérit pas les statues et le nain de la mise en scène. Seul le charme des Filles-Fleurs n’opère guère, mais l’écroulement final s’accomplit sans sècheresse, portant plus loin le théâtre de Klingsor, en parfaite osmose avec l’option de Schulz (nous y reviendrons). Le dernier acte s’ouvre en grande tendresse, bientôt illuminé d’une spiritualité aussi discrète que prégnante, loin des illusions préalables. À ses tempi le chef n’accorde qu’un seul aléa pendant toute la représentation : il cède considérablement lorsqu’enfin Gurnemanz reconnaît Parsifal de retour – voilà qui suspend toute cérémonie, magnifie l’initiation elle-même dans un frisson qui coupe le souffle. La fluidité vient encore conclure cette interprétation passionnante.
Outre l’excellent Sächsicher Staatsopernchor Dresden, luxueusement nuancé, un honnête plateau vocal défend cette captation, par-delà des ensembles vocaux assez inégaux. Parmi les petits rôles, l’on apprécie particulièrement le baryton-basse australien Derek Welton, Chevalier fermement impacté, et la clarté de l’Écuyer de Carolin Neukamm. Quelques semaines avant ses parfaits Colonna (Rienzi) et Gernot (Die Feen) à Leipzig [lire nos chroniques des 25 et 24 mai 2013], Milcho Borovinov campait à Salzbourg un Titurel de saine autorité. Souvent salué par nos pages, on retrouve le Danois Stephen Milling, Gurnemanz à la présence rassurante, à l’émission douce, formidablement théâtral dans le récit de la malédiction, puis volontairement affaibli dans la déréliction du début de l’Acte III, juste avant de magnifier son chant dans la bénédiction conclusive [lire notre critique du DVD Tannhäuser ainsi que nos chronique du 1er mars 2011 et du 27 septembre 2007]. Le cuivre attachant de Wolfgang Koch sert ici deux rôles antagonistes que le metteur en scène réunis en une seule voix, la victime Amfortas et Klingsor le magicien. Le pari est osé, tant sur le plan dramaturgique qu’en ce qui concerne l’endurance vocale, mais le chanteur s’en sort bien, d’abord onctueux dans le blessé du premier acte, prenant peu à peu de l’assurance, puis plus à son aise en Klingsor où il affirme une voix très longue, livrant enfin la plénitude de ses moyens à l’Acte III. Wagnérienne et straussienne accomplie [lire nos chroniques du 23 mars 2014, du 24 avril 2012 et du 1er août 2011], Michaela Schuster compose une Kundry malmenée dans l’égarement médiumnique, avec un grave caressant, un timbre plus enveloppant encore au II, séductrice dans des méandres d’une irrésistible sinuosité, enfin pécheresse soumise qui retrouve un aigu au regard confiant (III). La douceur et le calme caractérisent l’incarnation du rôle-titre par Johan Botha, entre aria de cantate luthérienne et Lied romantique, véhiculant l’extase dans l’évocation de la mère plutôt que le chagrin ou le regret, sans emportement, à la faveur d’un legato magnifique.
Dans le travail de Michael Schulz, rien n’est livré d’avance ! Chaque personnage accuse une dualité humaine rien qu’humaine, quand le redoutable magicien est un leurre animé par une figure de démon : le comédien Rüdiger Frank, grimace formidablement maléfique et toujours en alerte qui manipule son monde, jusqu’à brouiller les identités (Amfortas = Klingsor, disions-nous plus haut), installé dans une grande tête de pierre, au centre d’un simulacre effrayant. Entre scaphandriers et cosmonautes, les écuyers propulsent l’action vers d’autres sphères où l’omniprésence d’un figurant en Jésus de Dürer, puis de son frère rafraîchi pour les baptêmes finaux, entretient un suspens troublant. Contrastant avec la bienveillance de Gurnemanz, Kundry se moque de tout, se gausse franchement, rejoignant l’en-dehors de ce Parsifal sylvestre, escorté de préadolescents affairés. De fait, le Christ du III retire la lance des mains du héros pour la remettre à la sauvageonne. Le baiser du double lève toutes les malédictions : « heureuses, toutes créatures… ».
BB